©Andrea Mantovani - Hans Lucas
[PHOTOS] La Banda de música : dans un bidonville mexicain, un orchestre contre les gangs
Pour s’éloigner de la drogue et des gangs, des ados ont voulu monter une fanfare dans leur bidonville d’Oaxaca, au Mexique. Problème : ils n’avaient pas d’instrument. Jusqu’à ce qu’une pilote d’Air France rende visite à sa tante, une religieuse installée depuis des années dans le barrio...
Quand on habite un bidonville construit au pied d’un dépôt d’ordures, dans une région parmi les plus pauvres et dangereuses du Mexique, souffler dans un tuba est rarement une priorité. Sauf à Vicente Guerrero, 15 000 habitants, où une centaine d’enfants et de jeunes de 7 à 20 ans forment aujourd’hui La Banda de música (ils ont aussi une page Facebook), une fanfare devenue orchestre symphonique. Pour comprendre, retour en 2011, quand une vingtaine de gosses va taper à la porte du monastère de la ville pour demander à l’abbé s’il peut leur dégoter un prof de musique. Les gamins se mettent à enchaîner douze heures de solfège par semaine, histoire de penser à autre chose qu’aux morts et aux sniffs de dissolvant. Pour la pratique, c’est plus compliqué : personne n’a les moyens de s’acheter un instrument. Alors on tape avec des bouts de bois, on joue de l’air guitar. « Ils voulaient vendre des tortillas pour se financer, mais le prix d’un instrument est tellement disproportionné par rapport aux revenus ici… » se souvient Isabelle de Boves. Cette petite bande, la commandante de bord d’ Air France la rencontre lorsqu’elle vient visiter sa vieille tante, religieuse dans le quartier. « Quatre jours avant mon départ, elle me dit “Si nous allions voir les jeunes qui veulent monter une fanfare ?” Les gosses révisaient depuis six mois, ils avaient des étoiles plein les yeux et expliquaient que “plus tard”, ils joueraient de la trompette ou de la clarinette. » Isabelle repart avec une liste d’instruments manquants et pas mal de gniaque. « On m’a dit que personne ne donnerait jamais un instrument. J’ai contacté des écoles, des boutiques, des particuliers, tout le monde était enthousiaste ! Des luthiers ont aussi proposé des réparations gratuites qui valaient plusieurs milliers d’euros, et avec le sourire ! » Avec ses collègues d’Air France, Isabelle organise un pont aérien, la logistique se met en place.
Six ans plus tard, 300 instruments ont été récoltés, une jeune d’Oaxaca a été formée dans une école de réparation d’instruments à vent en France, et deux luthiers viendront bientôt la rejoindre. « Dans ce bidonville où les taxis ne veulent pas rouler le soir, on voit maintenant des musiciens professionnels venir de toute la région ! Ça a totalement désenclavé et changé l’image de la communauté. L’été dernier, par exemple, il y a eu beaucoup de violences, 50 maisons brûlées, des morts… L’école a organisé un concert pour la paix au sommet du dépôt d’ordures, 1500 personnes sont venues, la télé s’est déplacée ! Les gens ici en ont juste marre qu’on bafoue leur dignité, qu’on les voie comme les sales gosses du pire bidonville de la région. C’est une question d’estime de soi, pour les enfants, les parents, et le quartier. La ville leur envoie des montagnes de déchets et eux, ils leur envoient de la musique. »
Par Mathias Chaillot 19 mars 2018 ©neon
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