De l’utilité des hôtesses de l’air dans les films et séries TV…

Dans le très bon film, A l’âge d’Ellen (en salles), Jeanne Balibar compose un joli personnage d’hôtesse de l’air, soudain jetlaguée par son existence.
A l’âge d’Ellen était bien parti pour être le meilleur film sur cette profession mais ne l’est qu’à demi – dans la seconde moitié du film, Jeanne B. se met en tête de sauver des animaux en Afrique. Comme tous les métiers en uniforme, l’hôtesse de l’air a nourri cinéma et télévision en fantasmes pour de très bonnes raisons (surtout pour le spectateur mâle) : la fille de l’air en apparence, et par excellence. Qui vous sert tout sur un plateau (ou plutôt un plateau-repas). Droite comme un soldat quand il s’agit de montrer les consignes de sécurité qu’on ne regarde jamais.
Au matin d’un vol long-courrier, elle est inexplicablement fraîche tandis que vous avez a)le dos en compote b) mal dormi sur votre voisin(e) c) fait votre méta-malin, et essayé de regarder Inception sur l’écran mis à disposition pour singer Leo DiCaprio qui y roupille et rêve comme un bébé dans l’avion (et vous comprenez pourquoi ensuite : lui était en classe affaires).
Plus sérieusement, à quoi servent les hôtesses de l’air au cinéma et dans les séries TV ? On en a sélectionné quelques-unes (si un lecteur ou une lectrice a vu le film Low Cost et que le film fait progresser le débat, qu’il/elle nous le dise).
Faire rêver (le casting de Pan Am)
Série centrée sur un équipage d’hôtesses et pilotes de la compagnie américaine éponyme à son apogée (les années 60), Pan Am (2011) capture à peu près tous les fantasmes sur la profession : l’uniforme, le glamour, le voyage et même l’intrigue, avec une touche d’espionnage old school (l’hôtesse de l’air comme coursier pour messages secrets). Plus que Mad Men, à laquelle elle a été hâtivement comparée, la série aurait plutôt comme image matricielle celle de Leonardo DiCaprio (encore lui) dans le film Attrape-moi si tu peux, situé à la même époque : déguisé en pilote, sourire aux lèvres, il se pavane avec des hôtesses au bras.
Pan Am veut faire rêver sur le mode nostalgique: à une époque où les passagers se ruent sur leurs sièges non attribués dans les vols low cost, son monde de voyageurs bien habillés et d’hôtesses rigoureusement sélectionnées pour propager une image d’excellence semble appartenir à une autre planète. De fait, dans 2001, L’Odyssée de l’Espace, la compagnie envoie ses clients dans les étoiles – vœu pieux, la vraie Pan Am a fermé boutique en 1991.
Mais en dépit de reconstitutions de Paris, Rome ou Berlin en studio, le principal facteur d’exotisme, de décollage et d’air frais dans la série est sonore : c’est l’anglais déclamé avec l’accent français, sans jamais en faire trop façon le nain Tatoo dans L’Ile Fantastique (« Ze Plane, ze plane »), de l’hôtesse Colette. Elle est interprétée par l’actrice québécoise Karine Vanasse et donne envie de s’encanailler en Citroen DS (première photo plus haut, troisième brune piquante à partir de la gauche). Pour le facteur bizarre, comptez sur Christina Ricci en hôtesse revêche.
Sauver les Etats-Unis (Halle Berry dans Ultime Décision)

En pratique, l’hôtesse de l’air est en première ligne quand votre avion est pris d’assaut par des terroristes : elle est debout et mobile, contrairement aux pilotes. Elle connaît tous les recoins de l’appareil, du frigo à la soute. Dans le film Ultime Décision (1996, avec Kurt Russell et Steven Seagal), un avion est donc pris d’assaut par des terroristes : Halle Berry, hôtesse, est alors indispensable pour aider les gentils militaires à l’empêcher de s’écraser. Serviable, elle laisse Kurt Russell sauver la mise – Steven Seagal est lui mort vingt minutes après le début, principal intérêt du film.
Composer des personnages tragiques (Françoise Dorléac dans La Peau Douce et Pam Grier dans Jackie Brown)

Ce soupçon de légèreté qui entache la profession (cliché : « il me trompe avec une hôtesse de l’air ») est transcendé dans La Peau Douce (1964) de François Truffaut. Un écrivain marié (Jean Desailly) s’y amourache d’une hôtesse (Françoise Dorléac). La classe infinie : elle est du genre à se retenir brièvement les cheveux pendant qu’elle danse sous les yeux contents de monsieur et à les relâcher pour obtenir le trouble maximum. « Un film à la peau douce mais à la dent dure », pourrait écrire de nos jours l’hebdo A Nous Paris. Mais, c’est cela, l’adultère, le 5 à 7 vu à nu et à cru, au dénouement sordide. Dans cette relation, Dorléac se rend compte qu’elle ne peut bien sûr se poser nulle part.
Dans Jackie Brown (1997), Quentin Tarantino se penche aussi sur la condition de l’hôtesse : malin, il ne montre jamais Pam Grier en vol mais toujours à terre dans son uniforme fané pour compagnie régionale. Il la fétichise, en fait une super héroïne quand elle marche dans le générique de début, traverse l’aéroport comme si elle allait sauver le monde sur fond de Across The 110th Street de Bobby Womack. Les dernières notes la remettent à sa place : employée à vide, mal payée, rêvant d’ailleurs. Elle est belle à en pleurer et on lui achèterait un billet d’avion pour n’importe où.
Faire rire (Julie Hagerty dans Y a-t-il Un Pilote dans l’Avion et Sylvia Kristel dans Airport 80 : Concorde)

Qui dit hôtesse dit avion qui dit film catastrophe, genre à risques car sujet au ridicule. Assumé dans Y a-t-il… (1980): Julie Hagerty joue Elaine (« une silhouette divine, des petits seins fermes et pointus, des cuisses de rêve », dixit une passagère du troisième âge), l’hôtesse au service de l’avalanche de gags : dire les répliques les plus stupides mais très sérieusement, d’une voix de souris (« Un hôpital ? Mais qu’est-ce que c’est ? »). Cosmique dans le nanar Airport 80 : Concorde (1979) : l’ex-Emmanuelle Sylvia Kristel travaille à bord du défunt supersonique, avec nul autre qu’Alain Delon aux manettes. Alain flirte avec Sylvia à même la moquette d’une chambre d’hôtel en lui susurrant : « tes cheveux sont comme mes frites ». L’humour du film est bien sûr involontaire.
Rappeler le devoir de mémoire (Hanna Schygulla dans Delta Force)

L’égérie de Rainer Werner Fassbinder et Chuck Norris dans un même film ? Delta Force (1985) rend la rencontre possible. Le vol sur lequel Hanna est hôtesse (décoiffée) est pris d’assaut par des terroristes palestiniens : leur chef demande à Hanna de faire le compte des passagers juifs, provoquant chez elle une crise de nerfs. « Je ne peux pas, vous comprenez ? Je suis allemande ! L’Holocauste ! »
Incarnant les contradictions de l’Allemagne d’après-guerre chez Fassbinder, la voilà bradée comme porte-parole de la culpabilité nationale dans ce nanar guerrier. Heureusement, l’ami Chuck met tout le monde d’accord en liquidant les terroristes avec le lance-missile arrière de sa moto.
Note : par souci d’égalité, il faut mentionner les stewards. Et ils font peur. Bruno Cremer incarnait un steward assassin (nom de code : L’Epervier) poursuivi par Jean-Paul Belmondo (nom de code: l’Alpagueur) dans le polar L’Alpagueur (1976). Dans l’épisode des Simpsons La Peur de l’Avion, Marge découvre en thérapie que sa peur de l’avion date d’un trauma d’enfance : découvrir que son papa, qu’elle croyait pilote, était en fait steward (en short et tablier).
Note 2 : pourquoi n’y a-t-il pas eu de personnage principal d’hôtesse de l’air dans la série Lost ? Elle se serait chamaillée avec Sawyer, fait les premiers soins avec Jack, servi à manger à Hurley, parlé en coréen à Jin, tourné la roue magique sous l’île en bonne experte d’ouverture d’écoutille, localisé les issues de secours dans le bunker de Desmond… les possibilités étaient infinies.
Note 3 : on exige un biopic de Vesna Vulovic. En 1972, cette hôtesse de l’air serbe a survécu à sa chute, sans parachute, d’un avion explosant en plein vol à 10000 mètres d’altitude. Record homologué par le Livre des Records, puis contesté (l’avion était-il vraiment à cette hauteur ?), barbouzerie (l’avion a-t-il été abattu par l’aviation tchèque ?), destin d’héroïne nationale dans la Yougoslavie d’alors : une bien belle histoire.
Article paru sur le blog Les inRocks.
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